À l’heure du numérique, des productions industrielles de masse et de la mondialisation des échanges économiques, la clause de globalisation constitue, plus que jamais, un des outils majeurs de prévisibilité dans la garantie des risques. Chacune des parties au contrat d’assurance y trouve un intérêt : l’assureur, pour lui permettre d’avoir la connaissance la plus précise possible de ses engagements ; l’assuré, pour se voir appliquer le juste prix de la garantie des risques liés à son activité. C’est donc bien l’équilibre contractuel qui est recherché à travers la clause de globalisation qui vise à appréhender le risque indemnitaire des sinistres successifs, ou, autrement appelés, des « sinistres sériels ». Les arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en mai 2021 risquent toutefois de bousculer ces équilibres.
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Il nous parait nécessaire, en premier lieu, d’expliciter la notion même de sinistre en assurance de responsabilité, laquelle suscite de nombreux débats. A suivre l’article L 124-1 du Code des assurances, le sinistre est constitué d’un fait dommageable, d’un dommage et d’une réclamation de la victime.
De-là, quels sont les critères permettant de considérer qu’il y a bien sinistres successifs ?
La réponse est – partiellement – apportée par la loi n°2003-706 du 1er août 2003 qui a introduit l’article L.124-1-1 du code des assurances au sein du Chapitre IV relatif aux assurances de responsabilité. Ce texte saisit l’occasion des définitions du sinistre et du fait dommageable pour ajouter qu’« un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un dommage unique ». C’est donc dans ce dernier alinéa que se niche discrètement la globalisation.
La consécration législative de la globalisation est courte et implicite. Le mécanisme est construit à travers la notion, pour le moins elliptique, de « la même cause technique ».
Ainsi, tout laissait à penser, dès 2003, que le régime juridique de la globalisation des faits dommageables résulterait, en grande partie, de l’appréciation qu’en feraient les juges.
D’ailleurs, progressivement, des précisions ont été apportées sur les exactes conditions de mise en œuvre du processus de globalisation ainsi que sur leurs effets. Au fur et à mesure des décisions, la jurisprudence a précisé les contours de la « cause technique », la nature du fait dommageable susceptible d’être concerné. Elle a également déterminé les modalités d’application de ce mécanisme en présence de contrats successifs et a en a délimité les conséquences. Mais, sur chacune de ces difficultés, de nombreuses zones d’ombre subsistent encore, qui mettent à mal les prévisions des assureurs et l’équilibre économique que la globalisation avait initialement pour objectif de réaliser.
L’analyse des conditions (I) et des effets (II) de ces clauses à l’aune de la jurisprudence actuelle convainc à elle seule de la nécessité pour les assureurs d’introduire des clauses de globalisation et de veiller à leur rédaction. Peu exposées à l’ordre public, ces dispositions sont encore aménageables dans l’intérêt d’une couverture de garantie adaptée et d’une meilleure prévisibilité.
I – Les conditions de mise en œuvre de la globalisation
Ces conditions tiennent à la fois au fait dommageable (A) et au sinistre (B).
A – Les conditions relatives au fait dommageable
L’article L.124-1-1 du code des assurances définit le sinistre et énonce que « le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage ». Consacrant le mécanisme de la globalisation, ce texte ajoute qu’ « un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique ».
Si l’objectif de cette règle est simple, il n’en demeure pas moins que les termes qui l’expriment compliquent sévèrement son interprétation.
L’objectif de la règle – L’objectif est incontestablement de rendre prévisible la charge que représente, pour l’assureur, l’indemnisation des sinistres sériels, en l’autorisant à assimiler à un fait dommageable unique, notamment, une pluralité de faits dommageables identiques trouvant leur origine dans une même cause.
Les exemples sont nombreux en matière de vente et de prestation de services (ventes par l’assuré de biens mobiliers ou immobiliers, tous grevés d’une même défectuosité et ayant produit des dommages multiples et similaires, ou fourniture par l’assuré d’une prestation affectée d’une même défectuosité, d’une même erreur, malfaçon ou faute professionnelle et ayant produit des dommages multiples et similaires).
Dans cette hypothèse, tous les sinistres résultant d’une même cause technique génératrice sont assimilés à un sinistre unique. Ce qui signifie que la mise en œuvre de la garantie s’effectue comme s’il n’existait qu’une seule réclamation.
Les complexités de la notion de « cause technique » – La notion de « cause technique » n’est pas précisée par l’article L.124-1-1 du code des assurances. Elle est donc laissée à l’appréciation des juges.
De nombreux commentateurs se sont essayés à la préciser et s’entendent pour dire qu’elle doit être distinguée de la cause juridique ou de la cause scientifique[1]. Elle se réduit donc finalement au processus matériel ou intellectuel de constitution de l’événement qui est à l’origine de la survenance du fait dommageable.
La cause technique matérielle, la plus fréquente, englobe ainsi la constitution des matériaux, des pièces, les conditions de leur assemblage, de leur conservation, de leur stockage, de leur transfert ou encore de leur transport. La cause technique intellectuelle, plus rare, sera constituée par une erreur d’appréciation, de raisonnement, de calcul ou de conception[2].
Déterminer la cause technique reviendra donc à identifier le facteur matériel ou intellectuel qui est à l’origine de la défectuosité ou de la défaillance ayant provoqué la faute ou le fait générateur du dommage et de la responsabilité.
Rien n’exclut que la cause technique soit constituée d’une pluralité de facteurs de nature différente, et, dans cette hypothèse, il conviendra de rechercher la part de causalité de chacun des facteurs, le rôle prépondérant de l’un d’entre eux ou l’impact de leur addition.
Déterminer ce qu’est une cause technique n’est cependant pas suffisant pour justifier le recours à la globalisation. Encore faut-il que cette cause technique soit identique pour tous les sinistres.
Or, sur ce point, l’étude de la jurisprudence révèle alors que la Cour de cassation juge qu’il ne peut exister une cause technique unique lorsque l’obligation inexécutée doit être appréciée en considération de la personne de la victime. Tel est l’enseignement d’une série d’arrêts rendus par la Deuxième Chambre civile de la Cour de cassation le 27 mai 2021 et publiés au Bulletin de la Cour de cassation[3].
En tout état de cause, rien n’empêche les parties de préciser elles-mêmes dans leur contrat ce qu’elles entendent par « cause technique »[4] à la condition toutefois de veiller à préciser les termes de la clause aux fins d’éviter toute forme d’ambiguïté[5].
L’obligation personnelle et son incompatibilité avec l’existence d’une cause technique unique – Dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 27 mai 2021, les clients d’une société de conseil en investissements financiers avaient engagé la responsabilité contractuelle de cette dernière sur le fondement d’un manquement à ses obligations d’information et de conseil, et avaient assigné son assureur sur le fondement de l’action directe.
La Cour d’appel avait jugé, au visa de l’article L.124-1-1 du code des assurances, qu’en raison de la globalisation du fait dommageable commis par le prestataire en conseil à l’égard de nombreux de ses clients, le plafond de garantie prévu par le contrat était opposable à chacun d’entre eux et qu’il devait être procédé à une répartition au marc l’euro.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au motif que « la responsabilité des assurées était recherchée au titre de leurs manquements dans l’exécution d’obligations dont elles étaient spécifiquement débitrices à l’égard de M.X » et qu’il n’y avait pas lieu à globalisation. Dit autrement, dès lors que les assurées étaient débitrices d’une obligation particulière et personnalisée à l’égard de chacun de leur client, la non-exécution de ces obligations ne pouvait être considérée comme uniforme et excluait l’existence d’une même cause technique.
D’un point de vue technique, cela revient à dire que le prestataire est contraint de varier ses procédés d’appréciation des modalités d’information et de conseil en fonction de chaque client, eu égard à l’étendue de leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissement financier. Mais, ces arrêts, pourtant dotés de la valeur de principe jurisprudentiel, suscitent plusieurs questions immédiates.
Tout d’abord, on observe que, loin de réduire sa décision aux seules obligations d’information et de conseil, la Cour de cassation retient, au contraire, une formule générale beaucoup plus souple et vise toutes les hypothèses dans lesquelles l’obligation dont l’inexécution est garantie peut, d’une manière ou d’une autre, être considérée comme spécifique au créancier.
Cette jurisprudence est d’autant plus inquiétante que la Cour de cassation avait déjà rendu, quelques mois auparavant, deux arrêts dans le même sens dans lesquels elle avait explicitement visé les obligations d’information et de conseil[6].
La première question est donc la suivante : la globalisation sera-t-elle écartée dans la seule hypothèse d’un manquement à une obligation d’information et de conseil, ou sera-t-elle écartée dans toutes les hypothèses où l’obligation inexécutée présente un caractère spécifique, c’est à dire un caractère personnel au créancier ? L’aspect est important dans la mesure où de nombreuses obligations présentent un caractère intuitu personae, ou, à tout le moins, sont adaptées au créancier.
En outre, et quand bien même la nouvelle jurisprudence serait limitée à la seule obligation d’information et de conseil, il est important de rappeler que, sans nécessairement être une obligation principale, le devoir d’information et de conseil apparaît, dans de nombreuses opérations contractuelles, comme une obligation accessoire. Qu’il soit vendeur ou prestataire de services, le professionnel est soumis à un tel devoir soit au titre d’une disposition spéciale, soit au titre de son obligation générale d’information ou de loyauté. La nouvelle jurisprudence s’étendra-t-elle à tous ces professionnels ?
Enfin, une autre interrogation est relative à l’identité des assurés. Les arrêts du 27 mai 2021 et ceux rendus en septembre et novembre 2020 (précités) concernaient tous des sociétés de conseil en investissement. Mais, ces sociétés ne sont évidemment pas les seules à exercer des activités de conseil.
La question se pose alors de savoir quels sont les domaines d’activité concernés par la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation. Si la liste des professionnels venait à s’allonger, la solution retenue ne réduirait-elle pas ainsi le champ de la globalisation au risque de remettre en cause les équilibres contractuels constitués ?
Les enjeux de cette jurisprudence ne doivent donc pas être sous-estimés, car, au moins, dans un premier temps, sur le marché des prestataires de conseil financier les assureurs hésiteront à maintenir leurs garanties ou, à tout le moins, réviseront sensiblement le montant de leurs primes[7].
En définitive, les nouveaux arrêts rendus par la Cour de cassation soulèvent de nombreuses interrogations auxquelles il conviendra de répondre au plus vite afin de garantir la prévisibilité des obligations mises à la charge des assureurs et de préciser les modalités d’application de la globalisation.
S’il est incontestable que la nouvelle jurisprudence porte atteinte à l’économie de la globalisation, les acteurs de l’assurance seront amenés à en tirer les conséquences. Il leur faudra désormais rédiger les clauses en réglant le sort des obligations dites spécifiques, en précisant également la nature des causes techniques qu’elles souhaitent englober. Ces précisions seront cruciales et permettront peut-être de contourner les restrictions apportées par la Cour de cassation et de restaurer une certaine prévisibilité.
B – Les conditions relatives au sinistre
La globalisation, telle qu’entendue au sens de l’article L.124-1-1 du code des assurances, concerne ce qu’il est d’usage d’appeler « les sinistres sériels ». Ceux-ci sont constitués par une série de sinistres subis par plusieurs personnes, et résultant de plusieurs faits dommageables assimilés à un fait unique en raison de l’unicité de leur cause technique.
Loin de limiter ses effets à des simples considérations de gestion unique de plusieurs sinistres, la globalisation emporte leur « fusion » et les regroupe en un seul.
D’emblée, il convient de relever que ne peuvent être parties à série de sinistres que des sinistres de même nature et susceptibles de faire l’objet d’un même régime de garantie par l’assureur.
L’une des difficultés majeures qui résulte de « la fusion » de plusieurs sinistres et, a fortiori, de plusieurs réclamations, est celle de la datation de l’événement déclenchant la mise en œuvre de la garantie.
La détermination du contrat applicable et la datation de la réclamation – L’échelonnement des sinistres et réclamations doit, selon les circonstances, être articulé avec la succession dans le temps des contrats. Il est donc possible que les premières réclamations surviennent sous l’empire d’un contrat et que les suivantes surviennent sous l’empire d’un contrat renouvelé. Or, dès lors que l’obligation de l’assureur vis à vis de la victime du fait dommageable dépend du contrat en vigueur à la date de la réclamation, il convient, en présence d’un sinistre sériel et de réclamations multiples, de déterminer quelle réclamation servira de référence pour vérifier, d’une part, une possible globalisation, et, d’autre part, la teneur des obligations de l’assureur.
Sur ce point, l’article L.121-1-1 du code des assurances ne propose aucune solution explicite. Il se borne à formuler le principe d’une globalisation du fait dommageable lui-même, sans dater le fait dommageable de référence, et sans se référer ni aux sinistres ni aux réclamations. Faisant œuvre d’interprétation, la Cour de cassation était donc contrainte de trancher cette question délicate et juge ainsi, depuis longtemps, que la réclamation à prendre en considération pour déterminer l’obligation de l’assureur est celle de la première réclamation[8].
C’est donc le contrat applicable à la date de cette première réclamation qui déterminera si le sinistre sériel peut être globalisé, et, dans l’affirmative, qui fixera les obligations de l’assureur pour tous les sinistres nés de la même cause technique.
L’application du critère de la première réclamation – Le contrat en vigueur à la date de la première réclamation s’appliquera à toutes les réclamations ayant pour objet un sinistre résultant de la même cause technique. Les contrats postérieurs ne seront pas applicables pour ces réclamations.
Il s’ensuit que :
- La garantie sera due si le contrat applicable à la date de la première réclamation le prévoit et vaudra pour toutes les réclamations postérieures quand bien même les contrats postérieurs avaient exclu la garantie[9].
- A l’inverse, aucun sinistre ne sera garanti par l’assureur si le contrat applicable à la date de la première réclamation ne le prévoyait pas, et ce, quand bien même les contrats postérieurs l’y auraient contraint[10].
Il s’ensuit également et en présence d’une clause de globalisation que :
- Si le contrat en vigueur à la date de la première réclamation prévoit une clause de globalisation, le sinistre, objet de cette première réclamation et les sinistres postérieurs seront assimilés à un sinistre unique.
- A l’inverse, si le contrat en vigueur à la date de la première réclamation ne prévoit pas de clause de globalisation, et que celle-ci est ajoutée dans un contrat postérieur, c’est la première réclamation formée sous l’empire de ce contrat postérieur qui sera considérée comme la première réclamation au sens de la jurisprudence. Le premier sinistre, quand bien même aurait-il la même cause, n’entre pas dans le cadre de la globalisation et doit être traité individuellement. L’assureur ne saurait alors le déduire du montant de la garantie et doit l’indemniser intégralement à titre individuel[11].
II – Les effets de la globalisation
Puisque la globalisation suppose qu’ « un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique », elle oblige à admettre que l’ensemble des sinistres résultant de ces faits dommageables soit assimilé à un sinistre unique. De cela découlent des conséquences contractuelles (A) et procédurales (B).
A – La mise en œuvre du contrat applicable au sinistre devenu unique
L’effet principal de la globalisation est que tous les sinistres constitutifs de la série doivent être rattachés à la garantie prévue par le contrat pour l’année au cours de laquelle la première réclamation est formée. Ce sont donc les seules dispositions de ce contrat et ses seules limites qui s’imposeront dans les relations entre l’assureur et l’ensemble des victimes de l’assuré.
La fictivité du terme du contrat applicable – D’emblée, une première observation s’impose qui a trait à la remise en cause du terme du contrat mise en œuvre. En effet, dire que le contrat applicable à la date de la première réclamation régit l’ensemble des faits dommageables et sinistres postérieurs suppose nécessairement de considérer que l’exécution de ce contrat se poursuit au-delà de la date de son échéance. Il y a donc ici une fiction du terme et une remise en cause sensible des règles traditionnelles le régissant (article 1212 du code civil et article L.113-12 du code des assurances).
Certains auteurs évoquent même l’idée d’une garantie perpétuelle[12], pourtant difficilement conciliable avec le principe de l’interdiction des engagements perpétuels prévu à l’article 1210 du code civil.
L’analyse mérite toutefois d’être tempérée dans la mesure, d’une part, où les règles applicables au terme sont supplétives et peuvent être aménagées par les parties, et, dans la mesure, d’autre part, où les parties peuvent s’entendre pour prévoir de ne pas soumettre au terme général du contrat certaines des obligations contractuelles.
D’un point de vue financier, la globalisation emporte des conséquences qui tiennent à la fois au plafond de l’indemnisation allouée aux victimes et à celui de la franchise qui leur est opposable.
Un unique plafond de garantie – Le plafond de garantie prévu dans le contrat applicable vaut pour le sinistre unique. Ce plafond devient donc opposable à toutes les victimes des faits dommageables globalisés lesquelles n’auront d’autres droits que de se partager le montant maximal garanti pour l’année au cours de laquelle le premier sinistre est survenu. Pour les victimes de l’assuré, l’enveloppe de garantie s’amenuisera en considération du nombre des réclamations. Les indemnisations seront versées par l’assureur au fur et à mesure des réclamations. Il n’est donc pas exclu que le plafond de garantie soit atteint avant même que tous les tiers lésés aient pu être indemnisés par l’assureur de l’auteur du fait dommageable.
La règle du paiement de l’indemnisation au fur et à mesure des réclamations est préférée à celle de la répartition proportionnelle qui aboutirait à retarder les indemnisations jusqu’à la date, difficilement prévisible, de la dernière réclamation. Elle trouve implicitement sa justification dans les dispositions de l’article L.113-5 du code des assurances qui énonce que « lors de la réalisation du risque ou à l’échéance du contrat, l’assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà ». La règle du paiement au fur et à mesure est retenue par la Cour de cassation est en ce sens[13], et avait reçu l’approbation tant de la Fédération française des sociétés d’assurance[14], ancêtre de la FFA, que de la doctrine[15]. Reste, toutefois, que la règle de la proportionnalité, également appelée au marc-l’euro, pourrait ponctuellement être mise en œuvre et combinée avec la règle du paiement au fur et à mesure dans l’hypothèse particulière de créances concurrentes, c’est-à-dire certaines, liquides et exigibles et connues au même moment[16].
Une unique franchise – La globalisation aura également pour conséquence que la franchise prévue par le contrat applicable vaudra pour tous les sinistres constitutifs de la série. Comme l’ont relevé certains auteurs, en cas de franchises dites simples, le montant cumulé peut faire entrer dans le champ d’application du contrat les sinistres dont le montant individuel était inférieur à celui de la franchise, et qui auraient été placés en dehors du contrat s’ils n’avaient pas été globalisés[17]. En cela, la globalisation ne saurait être perçue comme avantageuse pour l’assureur et participe d’un équilibre contractuel avec l’assuré.
B – Les conséquences procédurales de la globalisation
La globalisation n’a pas d’effet sur le délai de prescription des actions individuelles – Cette question illustre la limite du processus de globalisation, dès lors que l’unicité du fait dommageable et du sinistre n’est aucunement prolongée en matière de prescription. On entend par là que la globalisation ne fait pas courir un unique délai de prescription biennal applicable à tous les sinistres procédant d’un même fait générateur. Au contraire, la prescription biennale est déterminée spécifiquement pour chaque sinistre[18].
La justification de cette règle est double et clairement précisée par la Cour de cassation dans son arrêt du 28 février 2013 précité[19]. En premier lieu, et d’un point de vue textuel, elle résulte des dispositions de l’article L.114-1 alinéa 3 du code des assurances selon lequel « quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai de prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier ». Ce texte est d’ordre public et ne saurait, par voie de conséquence, être écarté par le jeu d’une clause de globalisation. En second lieu, et d’un point de vue plus fonctionnel, cette règle garantit aux tiers lésés plus de deux ans après la première réclamation d’exercer leur action et de venir au partage de l’enveloppe de garantie.
La globalisation et les actions de groupe – L’article L.623-1 du code de la consommation, issu de la loi n°214-344 du 17 mars 2014 dite « loi Hamon », consacre l’action de groupe au profit des associations de consommateurs. Ce texte retient qu’ : « une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée en application de l’article L. 811-1 peut agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles : 1° A l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ; 2° Ou lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».
L’action de groupe est donc possible lorsque les consommateurs, placés dans une même situation, ont subi des préjudices ayant pour cause commune un manquement d’un ou de mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles. Si le professionnel est assuré pour ces manquements et les sinistres qu’ils entrainent, l’action de groupe exercée par l’association des consommateurs, tiers au contrat d’assurance, obéira à son propre délai de prescription sans qu’il soit tenu compte des délais applicables aux contrats conclus individuellement par les assurés. Mais, comme le démontre un auteur[20] dans l’hypothèse où les consommateurs sont victimes d’un dysfonctionnement technique commun à tous les biens achetés, les manquements contractuels du vendeur pourraient autoriser tout à la fois l’action de groupe et la mise en place du régime de globalisation de l’assurance du vendeur.
En conclusion, et si l’on excepte la question de la prescription, le bilan que l’on peut établir sur l’actuel régime juridique de la globalisation est celui d’incertitudes persistantes. Au-delà de l’ambiguïté de la cause technique, c’est désormais l’appréciation de son caractère identique qui insuffle une réelle insécurité juridique.