À l’heure où les enjeux climatiques prennent une place de plus en plus prépondérante, la responsabilité des dirigeants se trouve sous les feux des projecteurs depuis l’adoption de loi Pacte en 2019. Cet article du cabinet Stream explore les ramifications de cette évolution juridique et examine les responsabilités accrues qui incombent désormais aux dirigeants dans la lutte contre le changement climatique. La troisième et dernière partie se penche sur les difficultés d’évaluation par l’assureur du risque de cette responsabilité.
Les difficultés d’évaluation du risque de responsabilité climatique du dirigeant sont de deux ordres : elles sont juridiques et contextuelles.
A – Les difficultés de nature juridique
Les premières difficultés d’évaluation du risque sont directement liées aux éléments constitutifs de la responsabilité climatique du dirigeant social. Elles tiennent, principalement, à la porosité des fautes « climatiques » susceptibles d’engager la responsabilité du dirigeant, et à l’hétérogénéité des préjudices susceptibles d’être invoqués par les victimes.
1 – La porosité de la faute climatique
La première difficulté d’évaluation du risque assurantiel lié à la faute climatique du dirigeant social résulte du fait qu’à ce jour, les éléments constitutifs exacts de cette faute ne sont pas fixés et sont en cours d’élaboration et d’affinement. Les obligations apparaissent, se multiplient au fil des années, et la rapide évolution du changement climatique augure certainement d’un durcissement à venir sans qu’il soit possible d’en mesurer l’étendue. La deuxième difficulté est liée à la nature même des obligations mises à la charge des sociétés et de ses dirigeants. Car, à l’exception des obligations quelque peu « formalisées » (rédaction d’un plan de vigilance et inscription des bilans dans le rapport de gestion), les contraintes pesant sur les dirigeants sociaux en matière de protection du climat se caractérisent, encore aujourd’hui, et pour l’essentiel, par des obligations de moyens, des préconisations à suivre et des mesures à mettre en place. Fondées sur le devoir de vigilance, ces obligations sont susceptibles de revêtir de multiples formes et expressions selon la structure de la société, son domaine d’activité ou encore son secteur géographique, pour ne citer que ces critères. À titre d’exemple, dans l’affaire jugée le 12 mai 2023 par la Haute cour de justice de Londres, l’ONG ClientEarth, actionnaire de Shell, a agi en responsabilité contre les membres du Board of Directors de cette société pour le non-respect de plusieurs obligations aux contours pour le moins particulièrement flous : « Obligation d’exercer son jugement en matière de risque climatique sur la base d’avis scientifiques faisant raisonnablement consensus, obligation d’accord un poids approprié au risque climatique, obligation d’adopter des mesures raisonnables pour atténuer les risques pesant sur la profitabilité de l’entreprise à long terme et à sa résilience dans le cadre d’une transition vers un système énergétique, obligation d’adopter des stratégies qui sont raisonnablement de nature à permettre à l’entreprise d’atteindre ses objectifs pour atténuer le risque climatique, obligation de s’assurer que les stratégies adoptées sont raisonnablement sous le contrôle des membres actuels et futurs du board of directors, obligation de s’assurer que l’entreprise adopte des mesures raisonnables pour se conformer à ses obligations légales. »
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Arnaud Magerand et Hélène Chanteloup, « La responsabilité des dirigeants à l’épreuve du risque climatique (partie 3) » dans La Tribune de l’Assurance, 4 juin 2024.